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Do you speak Salomé?

Comment cela –t-il commencé ? Qui a demandé à l'autre et avec quel enthousiasme ou méfiance la demande a-t-elle été reçue ? La vérité est que l'on en sait rien, ou très peu, hormis que l'affaire ne fut pas simple. Oscar Wilde et Lord Alfred Douglas ont la mémoire biaisée quand il s'agit de revenir sur la traduction de Salomé ; d'ailleurs une fois publiée, ils n'y revinrent que très peu et de manière contradictoire. Il est communément admis que le récit de Lord Alfred Douglas ne soit pas fiable tandis que celui qu'en fait Oscar Wilde dans le De Profundis le soit. Cela n'est pas nécessairement vrai ; ce qui l'est en revanche, c'est que les tourments causés par cette première traduction ont rajouté de la confusion à un texte, qui, déjà énigmatique, a été et est toujours considéré comme impossible à traduire.

Depuis l'été de 1893 où Lord Alfred Douglas a entrepris le travail de Sisyphe d'apprendre l'anglais à Salomé, plusieurs autres traducteurs se sont succédé[1]. De là, la théorie des Salomé qui se suivent dans les éditions anglaises, guirlande de personnages de papier, de plus en plus étrangers à l'original.

Et de là l'interrogation des lecteurs et des spectateurs anglophones à propos de l'étendue de la perte que leur font subir ces traductions quand le texte français est considéré comme extraordinaire de poésie et de modernité. Salomé peine à parler anglais. Un comble quand celui qui lui a donné vie est reconnu comme un master of the English language.

La première question qui vient à l'esprit est pourquoi Oscar Wide n'a-t-il pas traduit son texte? Personne d'autre que lui n'était mieux à même de donner à ses personnages le ton et le style qu'il souhaitait. Il a été suffisamment reproché au texte français de contenir des anglicismes et des tournures de phrases typiquement anglaises pour marquer l'évidence que, oui, Wilde s'il suivait sa pente, pensait mieux en anglais qu'en français. La belle affaire, il était selon ses propres mots « Français de sympathie, je suis Irlandais de race et les anglais m'ont condamné à parler le langage de Shakespeare»[2], ou l'art de résumer une situation politique et une vocation littéraire. L'abandon de la traduction d'une pièce de théâtre à laquelle il tenait énormément à un traducteur inexpérimenté est étrange, même si l'on prend en compte l'admiration qu'il portait au talent poétique du jeune homme et la passion amoureuse qui les liait ensemble.Revenons à l'écriture de Salomé.

Salomé est une énigme. Elle ne ressemble en rien aux autres pièces de Wilde, tant par son sujet que par son style. Wilde l'a écrite en français, à Paris, dans des circonstances romanesques : une nuit blanche inspirée par la musique envoutante et rythmée d'un orchestre tzigane qu'il a entendu le soir dans un restaurant. Salomé, les pieds nus dans le sang de son amant danse une calligraphie étrange et belle que le poète note à la hâte, son crayon emporté par le mouvement et dont il reste la trace, rapide et fluide dans un simple cahier ligné, à la couverture noire.
Au matin, la petite princesse et les autres personnages du drame existent dans ce modeste écrin. Le texte est écrit, lumineux et baroque, envolé et boiteux. Unique.

Il importe peu que la réalité soit plus compliquée, que le texte ait été commencé et terminé bien avant cette nuit où la lune prenait possession de l'esprit de l'écrivain comme elle prend possession de l'esprit des fous et des génies. Sans entrer dans les détails fastidieux, il existe trois manuscrits du texte qui témoignent d'une rédaction étalée sur plusieurs mois. Ces manuscrits comportent des corrections, apportées à la demande d'Oscar Wilde, par des écrivains français, dont Pierre Louÿs, qui était alors un ami proche. Wilde a accordé à ses correcteurs une confiance mesurée et n'a pas suivi, loin s'en faut, toutes leurs suggestions. S'il refuse d'obtempérer à une réécriture préconisée par des locuteurs natifs, c'est qu'il veut laisser à Salomé le plus de spontanéité et d'originalité possible, garder l'élan de cette nuit et de cette musique, qu'importe qu'elles soient à moitié vraies ou à moitié imaginaires puisqu'elles donnent au texte sa couleur et son rythme

Beaucoup, parmi ceux qui ont fréquenté Wilde à Paris, ont insisté sur la fluidité de son français, sur le charme de son accent émaillé parfois de petites fautes, dues à l'impatience « Oh cela m'agace de chercher les mots pour m'exprimer »[3] disait-il à Jacques Daurelle lors d'un entretien pour l'Écho de Paris. En écrivant Salomé, il veut donner à ses personnages le flux qu'il aime entendre, parler et lire. Il sait que sa petite princesse est tissée des textes de Flaubert, de Huysmans, de Baudelaire, des tableaux de Gustave Moreau et des dessins de Félicien Rops, de tout ce mouvement symboliste, poésie et musique mêlés, qui donne à l'époque l'aura de la femme fatale.

Il s'en ouvre à Maurice Sisley qui le rencontre à Tite Street, alors que la censure vient d'interdire de jouer Salomé à Londres :

« … Il y a trois mois que j'ai écrit Salomé. Votre belle langue française m'a séduit. J'ai tenté d'exprimer ce que je sentais…en français. Et un jour, j'ai lu en petit comité à quelques uns de mes bons amis de France, de vrais artistes, l'acte que j'avais composé. Ils l'apprécièrent et me donnèrent ainsi du courage. (…) Certes, j'ai certains tours de phrase, certaines expressions que n'emploierait pas un auteur français ; mais il est des originalités qui, peut-être donneront du relief au style. Maeterlinck n'a-t-il pas, lui aussi, des expressions à lui, à lui seul, qui produisent leur effet, l'effet que l'auteur ou l'écrivain veut atteindre… »[4]


Oscar Wilde circa 1892

L'expérimentation du langage comme médium artistique, indépendamment des conventions linguistiques formelles est le prolongement pratique de la théorie de la prééminence de l'esthétique sur le réalisme, théorie sur laquelle Wilde travaille depuis sa tournée américaine de 1882 et dont il a présenté une version définitive dans son essai, The Decay of Lying, publié en 1891. Précisément l'année où il écrit Salomé.

« Je soutiens aussi que l'artiste ne prend pas son inspiration dans la nature mais dans le « matériel » dans l'instrument qu'il emploie. Un peintre ne doit pas faire un paysage avec le paysage qu'il a devant les yeux, mais avec les couleurs qui sont sur sa palette. L'art c'est le parfait emploi d'un « matériel » qui n'est pas parfait. J'ai écrit et prêché ces idées. Et les journaux m'ont beaucoup raillé et critiqué »[5] explique-t-il encore à Jacques Daurelle, comme s'il lui fallait justifier et justifier encore le fait qu'un écrivain s'approprie un langage du moment où il écrit.
Affirmer que le langage est subordonné à l'écriture est d'une modernité radicale. On comprend mieux pourquoi il a choisi ce personnage si peu wildien à l'origine. C'est la brièveté de son apparition dans les Évangiles -La fille d'Hérodias dansa au milieu des convives, et plut à Hérode-[6] et son omniprésence dans l'espace poétique et littéraire qui lui permettent de la modeler en utilisant comme matériel la langue française et de lui donner sa singularité. Les linguistes parleront de texte tranlingue ou de français idiosyncrasique -qui n'appartient qu'à une seule personne.
Wilde, lui, parlait de musicalité.

Salomé, dans son petit cahier ligné à la couverture noire, s'affranchit des codes et des règles et elle prend une avance de plusieurs décennies sur la littérature et le théâtre de son temps. Littérature et théâtre français, car il n'est pas encore question de la traduire en anglais.

Au fait, comment traduit-on la musique en mots ?

« Je vais publier Salomé. Personne ne peut m'en empêcher et personne ne le fera »[7]

La réponse d'Oscar Wilde à la censure qui frappe d'interdit sa pièce alors que les répétitions étaient déjà entamées, avec Sarah Bernhardt dans le rôle titre, est immédiate. Nous sommes en juin 1892, la publication simultanée de la pièce, à Paris et à Londres, se fera le 22 février 1983. En moins d'une année, il faut rendre bilingue la petite princesse de Judée et son ténébreux prophète. Et ajouter des illustrations au texte. L'habillage de l'édition française est simple, les mots se suffisent à eux-mêmes.

Afin de laver l'affront de la censure, l'édition anglaise doit être somptueuse. De fait, cette première édition, tirée à moins de cinq cent exemplaires est une fusion artistique, contrariée et superbe. Oscar Wilde n'est pas heureux des illustrations, l'illustrateur Aubrey Beardsley médit sur l'auteur mais le livre est un objet d'art qui stylise l'époque. Les réactions sont plutôt venimeuses, ce qui laisse Wilde et Beardsley indifférents mais incite Douglas à défendre la pièce comme une « merveilleuse œuvre d'art[8]».

Mais qui est a traduit cette œuvre d'art ? La page de titre est laconique: Salome a tragedy in one act: translated from the French of Oscar Wilde: Pictured by Aubrey Beardsley. Ce n'est qu'à la page suivante que le nom de Lord Alfred Douglas apparait, comme dédicataire et traducteur de la pièce.

La pièce traduite lui est donc dédiée, comme la pièce en français l'est à Pierre Louÿs et l'on sait le peu d'influence que ce dernier a vraisemblablement eu sur le texte final. L'influence réelle de Lord Alfred sur la version anglaise est-elle autant réduite ou est-il le véritable traducteur ?

Traduire la musique d'un texte écrit dans un français aussi beau que biscornu s'avère un casse tête ; Lord Alfred Douglas donne au texte une tonalité autre, passant du pourpre à l'or vieilli. Cela ne rend pas le texte plus facile mais déplace l'angle de son étrangeté. Ce n'est pas seulement une question de langage ou de tournure de phrase, ce sont deux styles radicalement différents. Là où le texte français est fluide, mélangeant les temps, le tutoiement et le vouvoiement, le sacré et le familier, les emportements et les angoisses, le texte anglais est raide, hiératique et détaché de toute passion. Il est écrit dans un style biblique, en référence à la King James Bible[9], qui fige l'action. Lord Alfred Douglas n'a pas donné à Salomé un langage contemporain, il s'est évertué à faire revivre le langage d'un autre temps, barricadé derrière les formes verbales et les tournures de phrases les plus archaïques. Le tour de force est beau mais il trahit l'original à chaque phrase.

« J'étais une vierge, tu m'as déflore. J'étais chaste, tu as rempli mes veines de feu.. Ah ! ah ! Pourquoi ne m'as tu pas regardée Iokanaan ? Si tu m'avais regardée, tu m'aurais aimée… »

« I was a virgin and thou didst take my virginity from me. I was chaste and thou disdst fill my veins with fire.. Ah ! ah ! wherefore didst thou not look at me ? If thou hadst look at me thou hadst love me… »

Il y a des raisons qui expliquent que Lord Alfred se soit à ce point éloigné de l'orignal, si ce n'est dans le fond mais dans la forme. Son style tout d'abord : pour être jeune, Lord Alfred est déjà un poète affirmé et volontairement classique, très classique et parfois archaïsant. A trente ans d'écart, il y a chez lui quelque chose de Raymond Radiguet qui, en plein mouvement surréaliste, usera d'une écriture resserrée et ultra classique. L'intimité entre Wilde et Douglas n'a jamais mélangé leurs styles, il n'est que de lire The Ballad of Reading Gaol[10] et The City of The Soul[11], qu'ils ont pourtant travaillés alors qu'ils vivaient ensemble à Naples, pour constater que leurs rythmes et leurs cadences ne se superposent pas.


« …Laissez moi vous dire que, comme poète, je ne suis pas un disciple de M. Oscar Wilde, à qui vous voyez tout ceci est dédié. J'ai une autre manière d'écrire que lui et je n'ai jamais cherché à l'imiter …»[12] précisait d'ailleurs Lord Alfred lors d'un entretien à propos de la publication de ses poèmes en 1896.

Néanmoins, l'ultra-archaïsme de la traduction dépasse une simple question de style personnel. Il faut aussi le mettre en perspective avec le mouvement préraphaélite qui est en Angleterre encore très prégnant dans les années 1890. Les préraphaélites, en peinture et en poésie, subliment un monde emporté, un passé imaginaire, légendaire ou biblique. Ils prônent un monde épargné par les pires aspects de la modernité : la laideur et l'affadissement. Un idéal porté par Wilde lors de sa tournée américaine de 1882. Dans les années 1890, Oscar est encore très lié au mouvement préraphaélite, comme il est très lié au mouvement symboliste qui se déploie en France. Les deux mouvements n'ont pas grand-chose en commun mais lui se nourrit et s'inspire des deux. Lord Alfred Douglas n'a pas encore une grande habitude de la France ni du français oral mais ses conjugaisons vieillies et ses pronoms d'imprécations, « He hath come… He worketh …..I pray thee..., thy daughter… » sont bien en phase avec l'esthétique des préraphaélites. Ces même préraphaélites qui, de leur côté, reconnaissent leur univers dans les poèmes de Lord Alfred et l'apprécient d'autant.

Mais, la radicalité de ce choix est-il entièrement le sien ? Peut-on imaginer qu'Oscar Wilde se soit entièrement désintéressé du processus de traduction et n'ait découvert un résultat décevant qu'une fois celle-ci terminée ? Et qu'il l'ait acceptée en regimbant pour n ' y apporter que quelques modifications ?

On sait que des disputes violentes ont éclaté entre Oscar Wilde et Lord Alfred, des disputes qui les ont conduits au bord de la rupture. Dès le mois de septembre 1893, Lord Alfred signifie à l'éditeur ne pas vouloir être réduit à une simple machine à traduire –inventant au passage et sans le savoir le concept de Chat GPT- mais il ne fait aucune allusion à un débat quant au changement drastique du style. Au contraire, il se plaint que Wilde a déjà porté à sa traduction beaucoup d'amendements : « J'ai décidé d'abandonner l'affaire complètement. Je vous laisse le soin de décider avec Oscar qui sera le traducteur. Pour ma part, je pense que tant qu'Oscar n'aura pas fait la traduction lui-même, il ne sera pas content ».[13]

Aubrey Beardsley tente alors sa chance en proposant sa traduction. Wilde la refuse et revient au texte de Lord Alfred. De son côté Lord Alfred n'en prend pas ombrage et il écrit à John Lane :

« Je n'aurais jamais accepté la publication de Salomé sans mon nom sur la page titre (et cela dépendait seulement de M. Wilde) si je n'avais pas été persuadé que la dédicace qu'il m'a faite était d'une valeur artistique et littéraire bien plus grande que mon nom sur la page titre. Il n'y a que quelques jours que j'ai réalisé la différence entre la dédicace que me fait l'auteur et mon nom sur la page titre, la différence entre une marque d'admiration pour un artiste et un reçu de commerce »[14]


Page originale de la traduction de Salomé par Lord Alfred Douglas. The British Library

Quant à Wilde, dans le De Profundis, il reproche à Douglas des fautes de français, mais ne dit mot de cette métamorphose que son texte a subi. Quand il se plaint d'avoir repris Douglas et sa traduction, et ses fautes d'écolier, c'est plus probablement la reprise d'une traduction déjà très stylisée.

Qui mieux que lui pouvait comprendre les difficultés de transcrire sa musique ? Qui d'autre que lui pouvait avoir la liberté d'imaginer une Salomé entièrement différente en anglais ? L'idée de la métamorphose a plus sûrement émergé des conversations entre Wilde et Lord Alfred que d'une lubie solitaire.

S'il n'a pas écrit le texte français en une nuit, Oscar Wilde était capable de le traduire en anglais en quelques semaines. Les lettres de Lord Alfred Douglas indiquent assez que Wilde s'implique dans le processus de traduction.


Mais Wilde n'en dit rien.
Son silence a ouvert une brèche.
La traduction de Salomé était à prendre.

En 1900, Robert Ross devient l'exécuteur testamentaire d'Oscar Wilde. Il accomplit un travail admirable. Oscar Wilde a été voué aux gémonies ; pour le tirer hors de l'infamie, Robert Ross usera de son intuition, intelligence et opportunisme. Il est primordial que Wilde soit à nouveau reconnu comme un écrivain et que son image soit lissée. Il va s'appliquer à passer du scandale à l'acceptable, de l'acceptable à l'aimable. L'étrange Salomé n'est ni l'une ni l'autre. Il s'agit de gommer ses aspérités.
Robert Ross, arguant de discussions qu'il aurait eues avec Wilde à ce sujet (rappelons qu'il n'en existe aucune trace écrite), entreprend de réviser Salomé et publie en 1906 et 1907 deux traductions modifiées. Il y ajoute une troisième en 1912. Les éditions ne mentionnent plus le nom de Lord Alfred Douglas mais ne mentionnent pas celui de Robert Ross non plus. En revanche, l'édition américaine de 1910 reprend la dédicace à Lord Alfred Douglas, sur un texte de Robert Ross. Depuis, les traductions ultérieures sont travaillées depuis la réécriture de Robert Ross[15] qui, à ce propos, écrivait à Frank Harris :

« La traduction de Douglas ne comprend pas une bonne partie de l'orignal et est fausse dans son rendu du texte dans beaucoup de cas. J'en ai discuté avec de nombreuses personnes. Je crois que Douglas est à ce jour sublimement inconscient du fait que son texte, dont il n'y a jamais eu plus de 500 exemplaires en Angleterre, a été entièrement mis au rebut ; à mon initiative, son nom a été retiré des éditions actuelles pour la bonne raison que la nouvelle traduction n'est pas la sienne.»[16]

Vyvyan Holland, le fils cadet d'Oscar Wilde, présente une nouvelle traduction en 1957 publiée par la Folio Society. Les incongruités poétiques de la traduction de Lord Alfred sont encore plus gommées. Les illustrations, huit gravures originales de Franck Martin, donnent au texte une atmosphère aseptisée, vaguement enfantine, et d'une féminité très stéréotypée. Ainsi servie, la pièce est présentable dans tous les bons foyers. Dans la présentation de sa traduction, Vyvyan Holland revient sur les ratés de Lord Alfred Douglas[17]. Il conserve le ton biblique de la King James Bible mais sa traduction est rigoureuse et littérale. Le public anglais a désormais une Salomé acceptable à lire et à voir.

En 1978 le poète et traducteur Richard Howard propose une nouvelle version, américaine publiée dans le magazine littéraire Shenandoah : The Washington and Lee University Review, fondée sur la dimension scénique. Le défi est d'impulser le rythme du texte de Wilde en anglais. Les formules hiératiques de Douglas qui restent sont enlevées pour garder le rythme percutant et moderne de Wilde. Le rythme sans le style perd son tempo.

Enfin, Joseph Donohue publie en 2011 une traduction fondée sur l'américain le plus contemporain assorti de gravures sur bois de Barry Moser, d'un érotisme féminin sans mystère. L'esthétisme disparu, c'est la violence du désir qui prime. L'approche est expérimentale, elle possède sa force et sa beauté. Mais est-ce Salomé qui parle ? Non, c'est l'esprit du temps.

A ce compte, il faut-il s'attendre à une nouvelle traduction de Salomé tous les vingt ou trente ans ? Toujours plus contemporaine et en adéquation avec les attentes du public ? Cette inclination, initiée par Robert Ross, est le contraire de ce que voulait Wilde, lui qui refusait de complaire à ces attentes. Faut-il, pour traduire, trahir l'auteur dans ses mots et dans le sens de son œuvre?

« Un livre n'est jamais traduit. Il est emporté dans une autre langue.» disait Marguerite Duras.

Salomé a-t-elle été emportée dans la langue anglaise ? Si oui, c'est la première traduction, celle qui n'existe que dans l'édition originale, ou ses fac-similés, celle du traducteur écolier Lord Alfred Douglas, étrange, à rebours, folle, aussi folle par bien des aspects que texte français qui l'a emportée. Elle reste la plus rebelle, parce qu'elle est la traduction d'un poète. Recouverte et méprisée par les traducteurs successifs, elle demeure pourtant la seule qui ait eu la validation, même contrariée, d'Oscar Wilde.

Véronique Wilkin

Page titre de l'édition originale de Salomé en anglais 1894

Nota bene :

Les citations de la traduction de Lord Alfred Douglas sont tirées de l'édition originale de 1894.




Notes


[1] Je citerai les plus significatifs, Robert Ross 1906 1907 1912, Vyvyan Holland 1957, Richard Howard 1978 et John Donohue 2011

[2] Lettre à Edmond de Goncourt 1893 -94

[3] Jacques Daurelle, « Un poète anglais à Paris » l'Echo de Paris, France, 6 décembre 1891

[4] Maurice Sisley « La Salomé de M. Oscar Wilde » Le Gaulois, Paris, 29 juin 1892

[5] Jacques Daurelle, « Un poète anglais à Paris » l'Echo de Paris, France, 6 décembre 1891

[6] Évangile selon Saint Matthieu XIV, 1-12

[7] « The censure of Salomé » The Pall Mall Gazette, Londres, 29 juin 1892.

[8] Critique de Salomé in The Spirit Lamp : An Aesthetic, Literary, and Critical Magazine (May 1893), publié à nouveau in Beckson, ed., Critical Heritage, 138–39

[9] La Bible du roi Jacques, publiée pour la première fois en 1611, est une traduction anglaise de la Bible effectuée sous le règne et à la demande de Jacques Iᵉʳ d'Angleterre.

[10] Publiée le 13 février 1898

[11] Publié en 1899

[12] Georges Docquois « Les poèmes de Lord Alfred Douglas » le Journal Paris 8 mai 1896

[13] Lord Alfred Douglas à John Lane, 30 septembre 1893 Traduction V.W

[14] Lord Alfred Douglas à John Lane, 16 novembre 1893 Traduction V. W

[15] Une étude complète de ces diverses publications apparait dans : Which is the most authorative early translation of Wilde's Salomé Joost Daalder Finders University 2004 Research Gate et Joost Daaldar: "A History of Confusion: The Two Earliest English Translations of Wilde's Salomé." Bibliographical Society of Australia and New Zealand Bulletin, 26, 3 & 4 (2002), pp. 134-75.

[16] Cité par Frank Harris, Oscar Wilde his life and confessions - Appendix New York 1918

[17] Comme confondre fléau avec fan – l'éventail

Oscar Wilde circa 1892

Page originale de la traduction de Lord Alfred Douglas - The British Library